Le site mythique de Beth-El est celui que Jacob avait désigné comme "la maison de Dieu" après y avoir rêvé d'une échelle aux cieux sur laquelle les anges montaient et descendaient. Ce site, étant chargé de récits bibliques, a très tôt suscité l'intérêt des archéologues protestants, partis à sa recherche car avides de trouver les preuves bibliques. Le premier fut le célèbre Robinson (celui de l'arche Robinson au Mont du Temple) en 1838. Il s'était basé sur les textes bibliques pour cerner le lieu en Samarie et avait remarqué le village arabe de Beitin qui lui semblait bien localisé et reflétant le nom originel de Beth-El. Des fouilles furent arrangées dans le secteur du village arabe à partir de 1927 par Albright, et d'autres après lui, comme étant les fouilles de "Beth-El" et se sont poursuivies jusqu'en 1960 dans ce même secteur de Beitin. Mais rien de trouvé sur place ne semblait correspondre au site biblique qui avait été d'une grande importance pendant 2000 ans et qui est mentionné plus de 100 fois dans la Bible ! Une tour, appelée Burj-Beitin, était située sur un sommet voisin du village arabe mais elle n'était pas de la période biblique. Sur la carte officielle du PEF (Palestine Exploration Fund) de 1880, on peut lire les noms de Beitin, Burj-Beitin, même de el-Tell (supposé être la ville de Aï détruite par Josué), mais on peut aussi remarquer la mention d'un autre site appelé tombeau du "Sheikh Abdallah": or Abdallah signifie "serviteur de Dieu" en arabe.
La situation était restée telle quelle, avec ses points d'interrogation, pendant toute la période mandataire. Puis, avec la création de l'Etat d'Israël en 1948, la Jordanie a envahi et occupé la Judée, la Samarie et la Vieille Ville de Jérusalem, et les a renommés "Cisjordanie" avec le but clair de les annexer un jour. Mais ces plans ont été bousculés par la guerre des Six-Jours lorsqu'Israël a repris de l'occupant jordanien ces territoires qui avaient été choisis par les Nations Unies pour être partagés entre juifs et arabes locaux. Et, à partir de cet instant, les sites bibliques localisés en Judée et Samarie (la plupart de l'histoire biblique se situant dans ces contrées) ont fait l'objet d'un regain d'intérêt archéologique, cette fois avec des équipes israéliennes, voire internationales. C'est ainsi qu'en 1968, un géographe israélien, Zeev Vilnay, a eu l'idée de se rendre près de la tombe Sheikh Abdallah, considérant que, si les Arabes de Beitin pèlerinaient là-bas, c'est qu'il devait y avoir une tradition ancienne sur ce site. Et, en le parcourant, il s'est vite rendu compte qu'il se trouvait dans le site biblique de Beth-El. Pourquoi? Pour pas moins de six raisons qui, combinées ensembles, offraient un faisceau de conjoncture permettant d'être certain du lieu biblique tant recherché:
(1) sur le lieu de pèlerinage arabe, il y a un maqam c'est-à-dire un mausolée de lieu saint (qui n'est pas une mosquée). Or ce maqam date de la période islamique ancienne (avant les Croisades); sur ce même lieu, et adossé au maqam, un ordre croisé (de Prémontré) avait construit une petite chapelle, augmentant ainsi, par la croyance chrétienne, que ce lieu était saint. Dans une période ultérieure, les Arabes ayant reconquis ces contrées, une tombe de Sheikh a été disposée à l'intérieur de la chapelle qui, elle, était alors utilisée comme vestibule d'entrée vers le maqam. La présence d'un Sheikh enterré ici est une autre preuve de sainteté d'un lieu pour les Arabes.
(2) Plusieurs arbres anciens existent encore en ces lieux. Or il est connu que la Terre Sainte a été quasiment rasée de ses arbres au cours de nombreuses générations. Le dernier ravage date de la 1ère guerre mondiale lorsque les Turcs coupaient tous les arbres afin d'alimenter les chaudières de leurs locomotives vers le front au sud, contre les Britanniques. Mais personne ne touchait aux arbres que les locaux considéraient être placés sur des lieux saints, et ce fut le cas sur ce site: leur présence est une autre marque de la sainteté du lieu. Un arbre en particulier est un chêne de Boissier (ici nommé אלון תולע), endémique à la région, et que l'on trouve sur les plus hauts sommets de Samarie et surtout en Haute Galilée. Il est vieux de 1000 ans ou plus, et un tel arbre se régénère au fil du temps. Or Déborah, la nourrice de Rébecca femme d'Isaac, fut enterrée à Beth-El sous un chêne selon Génèse 35:8.
(3) Ce lieu est localisé à côté du plus haut sommet de Samarie, le mont Baal-Hatzor, et donc sur la route ancienne dite "des Patriarches" qui allait du nord de la terre promise jusqu'aux portes du désert au sud, à Beer-Sheva. Donc, si un patriarche devait circuler le long d'un axe nord-sud, il passait forcément par Beth-El et ses environs.
(4) La proximité évidente des noms Beth-El et Beitin (Beit-in) est encore une preuve, comme l'avait compris Robinson sauf qu'il a cherché du mauvais côté par rapport au village arabe. Celui-ci a été établi au 19è siècle par des immigrants venus de la Jordanie actuelle. En 1863, l'explorateur Victor Guérin y avait compté 400 habitants (environ 50 maisons). En 1945, lors du Mandat Britannique, la population était de 690 habitants.
(5) Le site de Beth-El est jonché tout autour, dans les flancs de la colline, de tombes juives datant surtout du Second Temple, mais certaines aussi du Premier Temple. Or, le fait que des Juifs aient souhaité être enterrés sur ce site est une marque de la sainteté du site, comme au Mont des Oliviers, et autour de Jérusalem en général.
(6) Une section du site contient une aire faite de roches plates, entourée d'un mur épais de pierres, comme on faisait à l'époque du Premier Temple (donc époque biblique) et, surtout, de dimensions 100 x 50 coudées: ce qui correspond exactement à la taille d'un sanctuaire juif, comme à Shiloh par exemple, qui abritait le Tabernacle. Et, en bout de cette aire, se trouve un espèce de tumulus qui a probablement servi d'autel des sacrifices, à l'extérieur du sanctuaire, comme se fut le cas à Shiloh et au Temple de Jérusalem. Cette découverte est cruciale car on sait, selon le texte biblique, que le roi Jéroboam, lors de la scission avec le royaume de Judée, a construit un tabernacle païen, avec veau d'or, à Beth-El et à Dan.
HISTOIRE BIBLIQUE DE BETH-EL
Depuis 2000 ans avant JC, le site de Beth-El a été utilisé sans discontinuité jusqu'à aujourd'hui. Cela a commencé à l'époque des Cananéens qui avait construit un mur épais de pierres à l'époque du bronze moyen, qui a ensuite été détruite par le pharaon Thoutmosis III, dit le "Napoléon de l'Egypte", lors de sa conquête de la terre de Canaan des Hittites autour de 1500 avant JC. D'après la Bible, la ville cananéenne s'appelait Luz (Génèse 28:19), mais il s'agissait sans doute des ruines trouvées autour de Beitin. Celle-ci fut conquise par la tribu d'Ephraïm, fils de Joseph, lors de l'installation des 12 tribus dans la terre promise (Josué 16:1), et était devenue la ville frontière entre les tribus d'Ephraïm et de Benjamin (Josué 18:13).
C'est à Beth-El que l'Arche d'Alliance se trouvait, avant la guerre fratricide entre la seule tribu de Benjamin et les autres tribus: celles-ci s'étaient réunies autour de l'Arche d'Alliance et du grand-prêtre Pinhas à Beth-El (Juges 20:26-28). Donc, naturellement, lors de la scission entre les deux royaumes, Beth-El est devenue frontière entre les royaumes de Réhoboam au sud (royaume de Judée, composé des deux tribus, Judah et Benjamin) et de Jéroboam au nord (royaume d'Israël, avec les autres tribus). C'est à ce moment que Jéroboam, souhaitant éviter que le peuple de son royaume ne se rende à Jérusalem (capitale du royaume ennemi de Judée) lors des pèlerinages annuels au Temple, a érigé Beth-El comme sanctuaire alternatif, mais païen avec un veau d'or. En cela il avait copié ce que la tribu de Dan, tout au nord de la terre promise, faisait déjà depuis longtemps. Ainsi il y eut 2 sanctuaires païens sous Jéroboam: il a construit celui de Beth-El et, à Tel Dan qui était déjà païen avec la tribu de Dan, il n'a fait qu'y déposer le veau d'or (I Rois 12:28-29). Ces deux sanctuaires étaient donc installés aux deux extrémités du royaume de Jéroboam, l'un au nord (Tel Dan) et l'autre au sud (Beth-El).
Une question est la suivante: pourquoi Jéroboam a choisi Beth-El comme site de son sanctuaire alors que l'endroit était frontalier donc sujet à de possibles batailles, et alors qu'il y avait d'autres lieux appropriés dans son royaume comme Shiloh où le Tabernacle avait été installé pendant plus de 2 siècles? La seule réponse évidente est que Beth-El était "la Maison de Dieu" comme le patriarche Jacob l'avait nommée et sur laquelle il a aussi déclaré qu'elle était la "Porte des Cieux". Ce lieu particulier avait ainsi une valeur très importante aux yeux des Juifs: Beth-El était l'endroit où Dieu avait promis à leur ancêtre Jacob une grande descendance, dans un songe (Génèse 28:13-14). C'est donc à Beth-El que le peuple juif a réellement commencé, avec cette promesse pour les descendants de Jacob (renommé Israël). Tous ces détails étaient évidemment connus de la part du peuple juif de Jéroboam et cela faisait de Beth-El un choix évident pour un tabernacle, malgré les inconvénients de frontière. D'ailleurs Jéroboam a construit des fortifications autour de Beth-El et des tours de garde, dont on peut encore voir les vestiges aujourd'hui. Mais c'est à Beth-El que le prophète Amos s'est rendu pour prophétiser sa destruction (Amos 3:14). Cette prophétie fut accomplie par le roi Josée, de Judée, après la chute du royaume du nord aux mains des Assyriens (722 avant JC). Josée s'est alors rendu à Beth-El et a détruit pierre par pierre le sanctuaire de Jéroboam et a même brûlé les ossements de ceux qui étaient enterrés dans le secteur (II Rois 23). Plus tard ce fut le tour du royaume de Judée de tomber, cette fois aux mains des Babyloniens. Les Juifs seront 70 ans plus tard autorisés à rentrer chez eux et reconstruire leur temple sous le règne du mède Cyrus le Grand. Les derniers chapitres de la Bible mentionnent ce retour à Sion et à Beth-El notamment (Néhémie 7:32).
L'histoire biblique de Beth-El s'arrête là mais il y a eut d'autres événements marquants dans le secteur. Par exemple c'est au mont voisin de Baal-Hatzor qu'Abraham s'était vu promettre par Dieu la terre qu'il avait devant ses yeux (Génèse 12:8). C'est au même endroit qu'Abraham avait dû se séparer de son neveu Lot (Génèse 13:3-5, et aussi confirmé dans l'Apocryphe de la Génèse trouvé dans les manuscrits de la Mer Morte). C'est aussi tout près de Beth-El que la prophétesse Déborah était assise sous un palmier (Juges 4:4-5): encore une Déborah et encore un arbre, relatifs à Beth-El ! C'est aussi sur les pentes de cette montagne Baal-Hatzor que le fils rebelle de David, Absalom, a assassiné tous les fils de son père (hormis Salomon qui n'était pas sur place) après le viol de sa sœur Tamar (II Rois 13:23). Et le site réserve encore d'autres surprises avec des légendes telles que le lit de pierres agglomérées où Jacob s'était endormi !
HISTOIRE POST-BIBLIQUE
Lors de la guerre des Maccabées contre les Séleucides (un des royaumes hérité de l'empire d'Alexandre le Grand), c'est sur les pentes de Baal-Hatzor que le héros Judas Maccabée s'est fait tué en 160 avant JC dans la bataille contre Bacchidès (Livre I des Maccabées, chap. 9). Ce dernier fortifie alors Beth-El car elle est sise sur un l'axe stratégique nord-sud. Puis en 69 de notre ère, le général romain Vespasien conquiert d'abord la Galilée puis la Samarie, en finissant par Beth-El, avant de commencer son siège de Jérusalem (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 4:545). Son fils Titus, après la prise de Jérusalem, installe une garnison à Beth-El, car passage stratégique (Midrash Rabbah, Lamentations I 16:45).
A l'époque byzantine, Beth-El était mentionnée dans de nombreux écrits (Eusèbe de Césarée, le pèlerin de Bordeaux, St Jérôme, Théodose, etc.). Sur la célèbre carte de Madaba (vers 540 de notre ère), Beth-El est mentionnée comme "Λούζα η και Bεθηλ" c'est-à-dire "Luz qui est aussi Bethel".
Puis, comme déjà mentionné ici, à l'époque de la conquête musulmane (7è siècle), un maqam a été construit sur le site, en face du lieu traditionnel du rêve de Jacob, que l'on peut voir encore aujourd'hui (lieu étrange d'ailleurs). Puis, à l'époque des Croisades, un ordre religieux (ordre de Prémontré fondé à Laon en 1120, regula de St Augustin), s'installe à Beth-El qui appartenait à la Seigneurie d'Ibelin (le siège de la seigneurie était situé dans la ville juive de Yavné = Ibelin): ils construisirent la chapelle visible encore aujourd'hui. Pourquoi là? Car ils savaient que c'était le lieu du rêve de Jacob, selon les Juifs et les Musulmans.
Toujours à l'époque des Croisades, selon la légende connue, la pierre dite de couronnement d'Angleterre, avait été extraite du site de Beth-El. Elle avait été saisie par le roi Edouard I dans sa guerre contre les Écossais (cette pierre était auparavant le siège de la couronne d'Ecosse) et se trouvait à l'Abbaye de Westminster jusqu'en 1996. En cette année-là, l'Angleterre l'a retournée solennellement à l'Ecosse et elle se trouve aujourd'hui exposée au château d'Edinburgh.
Le site de Beth-El est chargé d'histoire biblique et moderne. L'accès au site est gratuit (pour le moment) et n'est quasiment pas fléché. Pour une visite intéressante, il vaut mieux la faire avec un guide diplômé du Ministère du Tourisme qui pourra vous guider au travers de ce lieu mythique et vous montrer les points d'intérêt.
Albert Benhamou
Guide francophone diplômé en Israël
Décembre 2019
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