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Dreyfus et Tel-Aviv

Ce sujet est peu ordinaire car quel peut bien être le lien entre le capitaine Alfred Dreyfus, l'homme de "l'Affaire Dreyfus", et la ville de Tel-Aviv?


Pour le comprendre, et sans récrire ici toute cette affaire tristement célèbre, revenons sur quelques faits. Le 5 janvier 1895 la dégradation du capitaine Dreyfus s'est tenue dans la Cour des Invalides.

Dégradation de Dreyfus à Paris, en janvier 1895 (image Alamy)

Dans la foule assemblée, il y avait un journaliste, correspondant à Paris pour un journal viennois : c'est Théodore Herzl. Rien ne pouvait laisser imaginer ce qui allait se passer dans la tête d'Herzl au moment de cette dégradation. Et pourtant, lui un Juif entièrement assimilé, qui rejetait toute tradition religieuse, avait compris en un éclair que le problème juif n'allait pas se résoudre par la seule assimilation dans la société. Car Herzl avait vu en Dreyfus l'exemple type d'un Juif entièrement assimilé, tout comme lui, qui servait même dans l'armée française. Or, il s'avérait que, étant coupable (en 1895, personne ne doutait qu'il l'était), il n'était simplement pointé du doigt comme traître, mais aussi comme Juif. On ne voyait pas en lui l'officier français traître, mais le Juif traître.

Théodore Herzl

Ce fut un déclic pour Herzl qui, à peine une année plus tard, le 14 février 1896, publiait son célèbre pamphlet : Der Judenstaat, c'est-à-dire L'Etat Juif. Il y prônait l'idée, saugrenue pour l'époque, que le problème juif ne serait jamais résolu par l'assimilation dans les sociétés mais seulement par l'existence d'un état autonome pour les Juifs. Cette idée fut généralement rejetée par l'ensemble de la Diaspora juive, qui sans doute rêvait encore à une intégration ou assimilation réussie. On oubliait vite que l'Affaire Dreyfus, aux échos antisémites, avait tout de même eu lieu en France, c'est-à-dire dans le pays des Lumières, dans celui de la religion sous contrôle de l'état (le Sanhédrin français avait été établi par Napoléon) et dans celui de la première émancipation des Juifs dans une nation européenne. Et pourtant, elle eut bien lieu en France, là où personne n'avait pu l'imaginer.

Le fameux pamphlet de Théodore Herzl

Herzl consacra le reste de sa vie à promouvoir l'idée d'un état juif. Et, 18 mois après la publication de son pamphlet, qui trouva écho toutefois dans les pays où la condition juive était la plus précaire (notamment en Europe de l'Est et en Russie), se tint le premier Congrès Sioniste à Bâle en fin août 1897. Il y eut plus de 200 délégués: le concept était lancé. Bien mieux, l'idée d'un état juif avait aussi germé (et ce depuis quelques décennies) dans certains courants protestants évangéliques qui voyaient le retour des Juifs dans leur terre ancestrale comme un prérequis au retour de Jésus. En quelque sorte, le mouvement sioniste "politique" était né aussi bien dans des milieux juifs plutôt marginaux que dans des milieux protestants influents.


Grâce à l'aide d'un pasteur, Théodore Herzl se rendit en Terre Sainte en fin octobre 1898 pour y rencontrer le Kayser Guillaume II en vue de fonder des colonies juives en Palestine sous le patronage de l'Empire prussien (pour lire mon article à ce sujet, cliquez ici). Mais cette initiative n'eut aucun succès car le Sultan refusa catégoriquement d'accorder au Kayser cette requête. Ce dernier avait pourtant vu d'un bon oeil l'implantation de colonies juives germanophiles en Palestine. Mais, une fois sur place, il put rencontrer d'autres colonies agricoles allemandes déjà solidement implantées depuis plus de 20 ans : il s'agissait des Templiers, une sorte de secte protestante (lire mon article en cliquant ici). Donc l'initiative d'Herzl n'était plus aux yeux du Kayser une nécessité dans cette terre, d'autant que le Sultan s'y refusait. Herzl mourut d'épuisement en 1904 mais son idée se poursuivit et rebondit avec une nouvelle initiative, en Angleterre cette fois. Celle-ci finit par aboutir avec la fameuse Déclaration Balfour le 2 novembre 1917, soit 19 années jour pour jour après la rencontre infructueuse entre Herzl et Guillaume II à Jérusalem le 2 novembre 1898. Et, en final, l'état juif dont avait rêvé Herzl fut établi en 1948, soit 50 ans (en mai 1948) à peine depuis la rencontre de Jérusalem.

Le campement de Guillaume II à Jérusalem

Concernant l'Affaire Dreyfus, en début 1898, elle avait pris un nouveau tournant avec la publication dans le quotidien L'Aurore, le 13 janvier 1898, du fameux J'Accuse d'Emile Zola.

La publication d'Emile Zola dans l'Aurore

Alors reprenons notre question initiale : quel est le rapport entre Dreyfus et Tel Aviv ? En 1902, Herzl avait publié un autre ouvrage, plutôt utopique pour l'époque : Altneuland. Dans cette publication il rêvait du renouveau de la terre ancestrale : en allemand Alt signifie vieux, Neu nouveau et land terre. Le titre veut donc dire : la terre ancienne (ou terre ancestrale) renouvelée. Ce livre fut traduit en plusieurs langues dont, bien entendu, en hébreu sous le titre bizarre à première vue de "Tel Aviv". L'auteur de cette traduction, Nahum Sokolov, avait écrit à Herzl pour l'expliquer ainsi: C'est un nom hébreu, biblique, ... et il sert de connexion entre le nouveau et l'ancien car 'Tel' signifie une ancienne ville en ruines, et 'Aviv' signifie le renouveau (comme le printemps). Et ainsi Tel Aviv signifie une ville antique en ruines qui revient à la vie.


Plus tard, en 1909, alors que la première ville juive était fondée depuis près de 2000 ans, Menahem Sheinkin avait proposé de la nommer... "Tel Aviv", en honneur à l'ouvrage d'Herzl qui n'était désormais plus une utopie. Et voici ainsi le lien avec Dreyfus : Herzl avait rêvé d'un tel renouveau, qui se concrétisa avec la fondation de Tel Aviv, depuis la dégradation de Dreyfus à Paris. Le nom de Tel Aviv est donc lié à Herzl et toute cette idée avait débuté avec la dégradation de Dreyfus.


Si vous vous promenez dans le vieux Tel Aviv, au début du boulevard Herzl (le bien nommé), vous y trouverez l'Institut Français. Et si vous passez derrière ce bâtiment, vous trouverez une statue du capitaine Dreyfus, se tenant respectueusement droit mais avec son épée brisée. C'est une statue qui lui rend hommage.

Hommage au capitaine Alfred Dreyfus

Et si vous souhaitez en savoir plus sur l'histoire de la fondation de Tel Aviv, et vous promenez au travers de ses bâtiments historiques et ses riches architectures, n'hésitez à me contacter ou tout autre guide touristique certifié.


Albert Benhamou

Guide francophone en Israël

Janvier 2023






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