Joseph et Marie enceinte s'étaient rendus à Bethléem pour le recensement ordonné par Quirinius, le nouveau gouverneur de Judée en 6 CE (selon l'évangile de Luc, 2). Mais ils ne purent trouver d'endroit pour y passer la nuit (Luc 2:7). Alors ils sont restés dans une grotte, sans doute située sous une habitation. Car cette configuration est typique des habitations israélites de cette période, construites par-dessus de cavernes naturelles ou de grottes creusées dans la roche crayeuse pour conserver le stock à l'abri de la chaleur par exemple. Mais bientôt Marie a commencé à sentir les douleurs d'accouchement. Joseph s'empressa d'aller chercher l'aide d'une sage-femme au beau milieu de la nuit. L'histoire est racontée dans le Protévangile de Jacques (dit "le Mineur", frère de Jésus). Il s'agit d'un texte paléochrétien, datant d'environ du milieu du IIème siècle de notre ère, donc plus ancien que les évangiles eux-mêmes (d'où son nom "Proto-") qui, eux, n'ont été compilés qu'au IVème siècle sous la direction d'Eusèbe de Césarée. Voici le texte nous concernant :
Et voici qu'une femme descendant des montagnes lui dit : « Je te demande où tu vas ? » Et Joseph répondit : « Je cherche une sage-femme de la race des Hébreux. » Et elle lui dit :
« Es-tu de la race d'Israël ?» Et il répliqua que oui. Elle dit alors : « Et quelle est cette femme qui enfante dans cette caverne ? » Et il répondit : « C'est celle qui m'est fiancée. » Et elle dit : « Elle n'est pas ton épouse ?» Et Joseph dit : « Ce n'est pas mon épouse, mais c'est Marie qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et qui a conçu du Saint-Esprit » Et la sage-femme lui dit : « Est-ce que c'est véritable ? » Et il dit : « Viens-le voir. » Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s'arrêta quand elle fut devant la caverne. Et voici qu'une nuée lumineuse couvrait cette caverne. Et la sage-femme dit : « Mon âme a été glorifiée aujourd'hui, car mes yeux ont vu des merveilles. » Et tout d'un coup la caverne fut remplie d'une clarté si vive que l'œil ne pouvait la contempler, et quand cette lumière se fut peu à peu dissipée, l'on vit l'enfant. Sa mère Marie loi donnait le sein. Et la sage-femme s'écria :
« Ce jour est grand pour moi, car j'ai vu un grand spectacle. » Et elle sortit de la caverne, et Salomé fut au-devant d'elle. Et la sage-femme dit à Salomé : « J'ai de grandes merveilles à te raconter ; une vierge a engendré, et elle reste vierge. » Et Salomé dit : « Vive le Seigneur mon Dieu ; si je ne m'en assure pas moi-même, je ne croirai pas. »
Et la sage-femme, rentrant dans la caverne, dit à Marie : « Montre-toi, car tu as soulevé une grande question. » Salomé l'ayant touchée, sortit en disant : « Malheur à moi, perfide et impie, car j'ai tenté le Dieu vivant. Et ma main brûlée d'un feu dévorant tombe et se sépare de mon bras. » Et elle fléchit les genoux devant Dieu, et elle dit : « Dieu de nos pères, souviens-toi de moi, car je suis de la race d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Et ne me confonds pas devant les enfants d'Israël, mais rends-moi à mes parents. Tu sais, Seigneur, qu'en ton nom j'accomplissais toutes mes cures et guérisons, et c'est de toi que je recevais une récompense. » Et l'ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Salomé, Salomé, le Seigneur t'a entendue ; tends la main à l'enfant, et porte-le ; il sera pour toi le salut et la joie. » Et Salomé s'approcha de l’enfant et elle le porta dans ses bras, en disant : « Je t'adorerai, car un grand roi est né en Israël. » Et elle fut aussitôt guérie, et elle sortit de la caverne, justifiée. Et une voix se fit entendre près d'elle, et lui dit : « N'annonce pas les merveilles que tu as vues, jusqu'à ce que l'enfant soit entré à Jérusalem. » (Chapitres 19-20)
Ainsi, de ce qui précède, nous pouvons apprendre qu'il y avait deux sages-femmes qui sont venues à la naissance de Jésus : une 'junior' est allée appeler une 'senior' appelée Salomé pour constater la naissance à partir d'une vierge. C'est Salomé qui s'occupa de livrer Jésus au monde. A l'approche de Noël, les églises installent des crèches. Mais il n'est pas courant d'y voir représentées ces deux sages-femmes. Et pourtant, elles étaient bien là ! En voici une représentation emprunte au musée du Louvre à Paris.
Bien que le Protévangile de Jacques ne fasse pas partie des écrits catholiques canoniques, il était connu des premiers chrétiens, et même jusqu'à aujourd'hui par ceux de la foi orthodoxe. Et il y a un lieu en Israël qui témoigne du respect que les chrétiens byzantins portaient à l'accoucheuse de Jésus : le tombeau de Salomé ! Avec des amis, nous nous sommes efforcés de sortir des sentiers battus et de retrouver la demeure de la première personne à avoir vu Jésus venir au monde !
La grotte funéraire de Salomé se trouve dans une zone Sud de la Basse-Judée, près de la route entre Lakish et Amatziya. Pour y parvenir nous avons emprunté un chemin de terre entre des vignes et atteindre le bas d'une colline. Nous avons laissé nos véhicules 4x4 et avons commencé à chercher à pied dans les pentes de cette colline jusqu'à ce que nous trouvions l'emplacement. Comme repère, il faut chercher des pierres taillées (dites 'ashlar') qui sont les restes d'une ancienne construction (sans doute cultuelle) au-dessus de la grotte.
Là, parmi les pierres taillées (et les buissons en 2019), on trouve une entrée enfouie dans le sol. A l'époque de l'enterrement, le sol était bien entendu en dessous du niveau actuel. Pour identifier l'entrée d'une grotte funéraire, il faut rechercher la présence ou l'évidence d'une pierre roulante qui en marquait l'entrée. Car, à cette époque Second Temple, également pour l'enterrement de Jésus, les gens roulaient une pierre ronde pour protéger l'entrée de ces grottes funéraires. Dans cette grotte-ci, la pierre roulante a disparu mais la marque de son emplacement est toujours visible à gauche de l'ouverture.
Pour cette visite, n'oubliez pas d'apporter des torches électriques (ou utiliser la torche de votre portable) car la grotte funéraire est souterraine et donc tout à fait obscure ! Et, si vous êtes claustrophobe, abstenez-vous d'y entrer !
Après avoir rampé à travers l'entrée (en commençant par les pieds), vous atteignez une sorte d'antichambre qui aurait pu être une petite chapelle ajoutée à l'époque byzantine. Au départ, cette antichambre aurait été la salle de préparation des morts : on enveloppait un cadavre dans un linceul (comme pour Jésus) et on le laissait dans la grotte pendant un an jusqu'à ce qu'une "seconde" sépulture soit faite lorsque les ossements du défunt étaient recueillis à l'intérieur d'un ossuaire qui était ensuite déposé dans une des niches funéraires. C'était ainsi la pratique pour les enterrements juifs à l'époque du Second Temple. En comparaison, les Romains (de grande famille) étaient plutôt enterrés à l'intérieur de sarcophages et cette méthode d'inhumation a également été utilisée par les Juifs dans les siècles suivants, comme en témoigne la nécropole de Beth-Shearim (en Galilée) par exemple. La pratique d'enterrer les gens aujourd'hui dans un cercueil date probablement de l'empire romain, alors que les Juifs de cette époque, et les Juifs religieux d'aujourd'hui, n'ont jamais utilisé de cercueils.
En passant cette antichambre, on atteint une nécropole, avec de nombreuses niches adaptées aux ossuaires comme expliqué ci-dessus. Ici, la nécropole date probablement du Ier siècle de notre ère, voire plus tôt (à savoir la période hellénistique du Second Temple).
La nécropole est couverte d'inscriptions en grec et de croix datant de l'époque byzantine. Il y a aussi quelques inscriptions musulmanes anciennes : cela peut sembler étrange mais il faut rappeler que Marie mère de Jésus a un chapitre du Coran qui lui est dédié (c'est la 19ème sourate dite de Maryam).
Et, enfin, au-dessus d'une niche particulière, il y a une augmentation notable du nombre d'inscriptions, ce qui démontre l'intérêt des visiteurs passés pour ce lieu précis : voici l'endroit que vous recherchiez ! Parmi ces inscriptions, le nom SALOME, écrit en grec, est bien visible.
Il est fort possible que, comme c'était le cas des traditions dans les sépultures juives, des premiers Chrétiens avaient souhaité par la suite être enterrés près de Salomé. C'était le cas pour la nécropole juive de Beth-Shearim et dans de nombreux autres endroits en Israël. Et c'est sûrement le cas ici. Sa sépulture, entourée d'autres et de nombreuses croix, prouve qu'elle était vénérée, ou du moins reconnue, à l'époque byzantine. Après tout, elle était la première personne à avoir vu physiquement l'enfant Jésus et la première à reconnaître son statut divin, tout comme les bergers qui sont venus après la naissance à la grotte de la Nativité (Luc 2). Car les Chrétiens de l'époque byzantine connaissaient parfaitement le Protévangile de Jacques, qui était le premier de tous les Evangiles !
Ce n'est pas une visite qui peut être faite par tout le monde ou par un grand groupe de personnes. Et il vaut mieux qu'il en soit ainsi, pour garder l'authenticité du lieu et l'aventure à le découvrir. Si vous êtes intéressé par une visite privée, n'hésitez pas à me contacter.
Albert Benhamou
Guide francophone privé, Israël
Décembre 2019
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