L'une des découvertes archéologiques les plus extraordinaires du XIXe siècle fut le palais royal de Sennachérib dans l'antique Ninive (aujourd'hui Mossoul en Irak). C'est Sennachérib qui porta la capitale de l'empire assyrien à son apogée vers 700 avant notre ère. Son palais mis à jour en 1847 par des fouilles britanniques contenait 80 pièces, dont les murs étaient ornés de bas-reliefs. Dans la salle du trône elle-même, on a retrouvé le bas-relief de la prise de Lakish, qui avait été la deuxième ville d'importance du petit royaume de Judée. Dans une section de ce bas-relief étonnant, long de 20 mètres, que l'on peut aujourd'hui admirer au British Museum de Londres, on peut voir le roi assis sur un trône impressionnant qui sort de l'ordinaire, et à côté de lui une inscription qui dit :
Sennachérib, roi du monde, roi d'Assyrie, est assis sur un trône et passe en revue le butin de Lakish. (source : The Ancient Near East, James Pritchard, 1969, page 201).
J'ai vu des copies de ce texte avec la mention assis sur son trône, ce qui est une traduction erronée.
Un trône ? Son trône ? Une question vient immédiatement à l'esprit. Est-ce qu'il s'est déjà produit dans l'Histoire quelque chose de semblable où un roi part en campagne militaire et amène son trône avec lui ?!? Voilà un mystère à résoudre !
En regardant les meubles assyriens typiques trouvés dans divers palais qui ont été fouillés, il est frappant de constater que seul le trône de Sennachérib est remarquable, vraiment spécial. Voici ci-dessous un extrait du mobilier royal recensé dans les fouilles de palais assyriens.
Mais ce trône est encore plus frappant quand on le compare à ceux de Téglath-Phélasar III et d'Assurbanipal.
On peut constater que les rois assyriens avaient un trône plutôt ordinaire : en gros, une chaise haute avec des accoudoirs et des repose-pieds, comme celui représenté pour Téglath-Phélasar III, le grand conquérant du Levant, qui régna avant Sennachérib en 745-727 avant notre ère. Et, si on suppose que Sennachérib s'était fait faire ce nouveau trône spectaculaire, d'un concept nouveau jamais vu parmi ses prédécesseurs, alors pourquoi Assurbanipal, qui était le petit-fils de Sennachérib et régna après lui en 669-631 avant notre ère, ne s'asseyait-il pas sur le même trône majestueux que son grand-père ?
Pour résoudre cette énigme, nous devons examiner les détails du siège de Lakish, en 701 avant notre ère. Pourquoi Sennachérib avait-il fait campagne contre le royaume de Judée ? Car, contrairement à son père Ahaz, le roi de Judée, qui payait un tribut à l'empire assyrien, Ézéchias profita de troubles politiques de succession au trône assyrien pour cesser de payer... La Bible dit :
Dans la quatorzième année du règne d'Ezéchias, Sennachérib, roi d'Assyrie, marcha contre toutes les villes fortes de la Judée et s'en empara. (II Rois 18:13)
Le pauvre roi Ézéchias n'avait pas vraiment le choix. Après avoir pris toutes les villes fortes, Sennachérib assiégeait maintenant Lakish, la dernière ville à prendre avant d'attaquer Jérusalem, capitale du royaume de Judée... Ézéchias voulut arrêter la destruction de son royaume et faire amende honorable :
Ézéchias, roi de Juda, fit alors transmettre au roi d'Assyrie, à Lakish, la déclaration suivante : "Je suis coupable ; rebrousse chemin et j'accepterai toutes les conditions que tu m'imposeras." Le roi d'Assyrie exigea alors d'Ezéchias, roi de Judée, trois cents kikkars d'argent et trente kikkars d'or. (II Rois 18:14)
Sennachérib imposa un lourd tribut à Ézéchias : 30 talents d’or et 300 talents d’argent. Et ce fut une tragédie pour Ézéchias qui ne possédait pas une telle quantité d’or et d’argent. Il n’avait d’autre choix que de trouver tout ce qu’il pouvait trouver dans les trésors de Jérusalem...
Et Ézéchias livra tout l'argent qui se trouvait dans la maison de l'Éternel et dans les trésors du palais royal. (II Rois 18:15)
Ce fut vraiment tragique pour Ézéchias car c’était un roi pieux, qui avait fait tous les efforts possibles pour ramener son peuple dans le chemin de Dieu, et avait même mené une vaste réforme religieuse pour abattre tous les sanctuaires et autels érigés par son peuple en dehors de Jérusalem. Mais le prix à payer était trop élevé et Ézéchias dut faire un dernier effort dans un moment aussi tragique, alors que la destruction totale se profilait à l'horizon :
Ce fut en ce temps-là qu'Ezéchias dépouilla de leur or, pour le remettre au roi d'Assyrie, les portes du sanctuaire de Dieu et les linteaux que lui, Ezéchias, roi de Judée, avait fait revêtir de plaques. (II Rois 18:16)
Ce paiement est un récit extraordinairement détaillé de la Bible. Mais, chose étonnante, il est attesté par des preuves archéologiques ! À côté du bas-relief impressionnant du siège de Lakish, les archéologues qui ont fait les fouilles de Ninive ont trouvé des prismes d'argile contenant les chroniques de Sennachérib.
Ces prismes, écrits en caractères cunéiformes, étaient le moyen par lequel les rois assyriens racontaient leur règne et leurs campagnes pour la postérité. Et nous retrouvons ici un écho du récit biblique suivant :
Quant à Ézéchias, le Judéen (Juif), qui ne s'est pas soumis à mon joug, j'ai assiégé 46 de ses villes fortes [...] et je les ai conquises. [...] Ézéchias lui-même, que la splendeur terrifiante de ma seigneurie avait accablé [...] m'a envoyé [...] 30 talents d'or et 800 talents d'argent... (source : The Ancient Near East, James Pritchard, 1969, page 200)
Comme le raconte la Bible, le drame de la situation se ressent aussi à la lecture de ce texte historique. Et il aurait été bon que la quantité d'or et d'argent fussent identiques : 30 et 300 dans la Bible, mais 30 et 800 dans le prisme. Pourtant, il y a un problème. Si l’on suppose que les rois de l’Antiquité, comme les pharaons égyptiens, aimaient se vanter de leurs exploits militaires (car cela servait à sécuriser leur trône), une question se pose : si Sennachérib voulait vraiment se vanter de la quantité de métaux précieux qu’il avait reçus d’Ézéchias, pourquoi n’avait-il pas exagéré la quantité d’or, plus précieuse que l’argent ?? Par conséquent, un examen plus attentif du texte s’impose, particulièrement les lignes 40 à 43 du prisme, on peut repérer le mot talents (ci-dessous entouré de bleu) et les deux nombres : 30 (en orange) et 800 (en rouge).
Regardons maintenant les caractères cunéiformes assyriens pour constater comment ils écrivaient 30 et 800.
Nous pouvons voir que le nombre 800 n'est pas formellement celui représenté dans le prisme. Le nombre représenté est plutôt plus proche de ce qu'est le nombre 300. La seule conclusion est que le scribe aurait commis une petite erreur : il aurait ajouté une barre verticale supplémentaire qui ne correspond alors à aucun nombre. En fait, il existe trois versions du même prisme et l'écriture de ce nombre spécifique pourrait être lue 800 ou 300 selon la copie. Quelle version était l'originale et lesquelles sont les copies, avec peut-être une erreur de copie ? Il est difficile d'en être certain mais, depuis le 19e siècle, des dizaines de livres d'Histoire ont copié le nombre 800. Mais si la version originale avait été le nombre 300, nous aurions eu une adéquation parfaite entre archéologie et Bible. Quel eut été un tel effet de tonnerre !
Alors maintenant : si Sennachérib ne s'était pas vanté de ces chiffres particuliers de lu tribut imposé à Ézéchias, nous pouvons supposer que le reste du texte est lui aussi très probablement vrai et 'honnête'. Or que dit le reste du texte dans le prisme ?
30 talents d'or et 800 talents d'argent, des pierres précieuses, de l'antimoine, de grandes coupes de pierre rouge, des divans en ivoire, des "kussiu nimedu" incrustés d'ivoire... (source : The Ancient Near East, James Pritchard, 1969, page 201)
Qu'est-ce qu'étaient ces kussiu nimedu ? L'expression se retrouve également dans l'inscription même de Sennacherib sur le relief de Lakish :
En consultant un dictionnaire assyrien, on trouverait que kussi signifie chaise en singulier (le mot est similaire à kisséh en hébreu) et kussi nemedi signifie une chaise avec un accoudoir et un repose-pieds, en d'autres termes un trône. Ceci est important car cela résout notre question initiale : Sennachérib n'a pas apporté son trône avec lui lors de la campagne militaire contre la Judée, mais a reçu un trône d'Ézéchias parmi le tribut.
Mais pourquoi Ézéchias avait-il envoyer un trône ? La Bible dit que le roi de Judée a donné TOUS les trésors qu'il avait dans la maison royale et dans le Temple, et ce n'était même pas suffisant. Il avait même fait découper l'or des portes du Temple (voir les textes bibliques mentionnés ci-dessus).
Un détail du prisme de Sennachérib mérite également d'être remarqué : le texte parle de chaises élaborées ou trônes (kussiu nimedu) incrustés d'ivoire... L'ivoire provient des éléphants, des éléphants africains plus précisément. Combien de rois de Judée ont fait du commerce avec l'Afrique ? Aucun car ils étaient tous en conflits permanents avec leurs voisins. Le seul roi qui avait la paix et le commerce avec des pays lointains était le roi Salomon. Et la Bible nous décrit le trône que Salomon s'était fait faire pour son règne. Voici le texte en hébreu (important) et sa traduction en français de
Le roi fit aussi faire un grand trône d'ivoire, qu'on recouvrit d'or pur. Six degrés conduisaient à ce trône, que surmontait un dais arrondi à l'arrière. Des deux côtés du siège se trouvaient des bras, où se tenaient deux "lions" (אֲרָיוֹת). Et douze (figures de) "lions" (אֲרָיִים) se dressaient de part et d'autre des six degrés. Pareille chose n'avait été faite dans aucun royaume. (I Rois 10:18-20)
Ce fut Salomon qui fit un trône en ivoire recouvert d'or fin. Ezéchias avait besoin d'envoyer tout l'or en sa possession royal, mais ce n'était pas suffisant. Il dut sûrement aussi envoyer ce grand trône d'ivoire recouvert d'or et, pire à ses yeux, il dut donc prendre aussi l'or des portes du Temple. La Bible donne une description complète de ce trône impressionnant que l'on peut aisément comparer au trône sur lequel Sennachérib est assis devant Lakish :
Le trône avait six marches ; Sennachérib est assis dessus, avec six marches, 3 pour ses pieds, 3 pour son corps.
Il y avait des bras ou accoudoirs de chaque côté : cela en fait une chaise élaborée donc un kussi nemedi.
Deux lions debout à côté des bras : ils ne sont plus là à l'époque d'Ezéchias, ou alors ils avaient été enlevés car ces lions ne faisaient pas partie du trône lui-même, mais "à côté des bras" ; pourquoi mettre des lions ? Parce que le symbole de la tribu de Judée, et donc du royaume de Judée, est le lion (on parle d'ailleurs du Lion de Juda).
Douze "lions" se tenaient là : c'est la traduction en français mais... le texte hébreu ne dit pas lions (qui est le mot אריות comme dans la mention précédente de deux lions) mais utilise un mot masculin inventé qui n'existe pas en hébreu (אריים) : c'est donc une représentation métaphorique de 12 entités ressemblant à des lions, qui sont certainement les 12 Tribus parce que Salomon régnait sur toutes les tribus d'Israël (période du Royaume Unifié). Le mot inventé peut donc être interprété comme les douze "figures de lions", à savoir les 12 tribus d'Israël. À quoi cela ressemblait-il sur le trône de Salomon ? Pas à des lions mais à des hommes, les tribus, se tenant debout et soutenant le trône du roi (bras levés vers le haut) ; c'est ce qui est visible sur le bas-relief de Sennachérib.
Dernier point, mais non des moindres. Si vous étiez Sennacherib et que vous regardiez votre armée attaquer une ville fortifiée aussi imposante que Lakish étendue sur environ 124 dunams (soit avec environ 10 000 habitants), construite à 50 mètres de haut par rapport au sol, entourée par un double mur d'enceinte et de fortifications, que feriez-vous si vous aviez reçu le trône majestueux d'Ezéchias ? Les historiens sont d'accord sur le point qu'au siège de Lakish, la guerre psychologique a également joué un rôle important. Il est donc concevable que Sennacherib avait fait installer ce trône, à côté de son camp sur la petite colline faisant face à la ville et au siège, bien à la vue de ses défenseurs. D'autant que le bas-relief le dit : Sennachérib était assis sur un trône et le butin de Lakish "passait devant lui".
Que s'est-il passé ensuite ? Les défenseurs croiraient que Jérusalem ÉTAIT TOMBÉE ! En effet, si Sennachérib était assis sur le trône de Salomon (et de tous les rois de Judée depuis), cela devait signifier que la grande ville de Jérusalem était déjà tombée. Et il n'y avait aucun messager de Jérusalem pour pouvoir confirmer ou infirmer cette supposition ! Que feraient ensuite les défenseurs ? Se rendre, afin que le puissant ennemi n'exerce pas une vengeance trop sévère. Et je crois que c'est bien ce qui s'est passé : Lakish n'est pas tombée, comme on le croit généralement, mais elle s'est rendue avant que le siège ne soit terminé. Sur le bas-relief de Lakish, on peut effectivement voir la population judéenne sortir des portes de la ville, tranquillement, avec des marchandises sur les épaules, ce qui est un signe de reddition. Et nous avons déjà établi que Sennachérib ne trompait pas l'Histoire. En effet, il aurait pu demander à ses artistes de ne pas montrer de signes de reddition afin de se vanter de ses prouesses militaires, en montrant qu'il a pris la ville par la force.
La prochaine fois que vous viendrez en Israël, n'hésitez pas à me contacter pour visiter le site extraordinaire de Lakish, où Bible et Histoire se rencontrent. Le site a récemment ouvert comme parc national où, sur un des murs du centre de visiteurs, vous pourrez admirer une copie du bas-relief du siège ce qui permet d'expliquer beaucoup d'autres détails dont il serait trop long de couvrir dans cet article.
Albert Benhamou
Guide touristique francophone, Israël
Janvier 2025
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